Nous sommes le 26 mai 2014, lendemain de déroute électorale en France. Les résultats de ces élections européennes ont réservé ce que tous les observateurs politiques craignaient : le FN en tête du scrutin, pour la première fois depuis sa création en 1972.
La France, pays fondateur de l’Union Européenne, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies, a placé en tête l’extrême droite dans une élection nationale.Certains parlent de séisme. Nous parlerons ici de honte.
Il ne s’agit en rien de ne pas pointer la responsabilité des différents gouvernements depuis 30 ans. Néanmoins, on ne peut systématiquement répéter cet argument, qui est loin d’être le seul, car les Français n’ont pas davantage de raisons de voter à l’extrême-droite que les autres peuples.
Qu’est-ce qui met les jeunes et les ouvriers en colère ?
On apprend que deux strates de la société ont plus voté pour le FN que pour les autres partis : les ouvriers et les jeunes (18-24 ans).
Quelle leçon tirer de cette situation ?
La désindustrialisation ? Elle est un processus qui touche TOUS les pays occidentaux, y compris l’Allemagne, sachant que nous sommes plus productifs qu’eux.
Les jeunes délaissés, sans espoir ? Le budget de l’éducation nationale n’a jamais été aussi important. De plus, les contrats de génération, les emplois francs et les emplois d’avenir, même s’ils fonctionnent moyennement, ont été créés spécialement pour eux.
Scoop : la France ne marche pas plus mal que ses voisins
L’État social existe donc. Et contrairement à ce que certains semblent penser, les critiques des milieux économiques contre notre pays viennent d’abord du fait que les gouvernements successifs ont toujours refusé de le démanteler en n’adoptant pas ces fameuses réformes structurelles magiques défendues par la Commission Européenne.
Il est donc imparfait, parfois bancal, mais c’est un fait : notre État fonctionne normalement.
Car malgré tout, si les choses ne vont pas bien, cela peut aussi venir de nous. Oui, les politiques se trompent, nous trompent, nous mentent etc… Il paraîtrait donc que nous sommes déçus. Mais personne n’a-t-il jamais été déçu par lui-même ? Par sa famille ? Par ses amis ?
Sur la question du chômage, les mêmes problèmes sont pointés depuis des années. Pour autant, la France n’est pas le pays européen avec le taux de chômage le plus élevé, loin de là. Le taux de chômage en zone euro est de 12%, celui de la France est à 9,8%, donc mieux que la moyenne. Seuls l’Allemagne, l’Autriche, le Benelux et le Danemark font mieux.
Autre indicateur, la croissance économique. La France, malgré sa croissance plutôt lente, n’est pas entrée en récession sur une année entière depuis 2008 et 2009, au contraire de la Finlande et des Pays-Bas, pourtant toujours notés AAA.
Les Français sont majoritairement favorables à l’euro
Comme le FN propose la sortie de l’euro, peut-être que les Français ont voté en ce sens pour une désaffection envers cette monnaie. Problème, ils y sont majoritairement favorables.
Le FN raconte depuis 15 ans que l’introduction de la monnaie unique, jugée trop forte, a coïncidé avec les problèmes de notre économie. Pourtant, savez-vous que la France a un excédent commercial avec la majorité des pays du monde (comme avec le Royaume-Uni) ? Et que notre déficit commercial est en grande partie interne à la zone euro (la balance commerciale est quasiment à l’équilibre sans la facture énergétique) ?
L’économie ne peut suffire à expliquer ce vote
Donc oui nous avons des problèmes économiques, mais quel pays n’en a pas ? Aucun pays européen n’est épargné par la crise. Pas même l’Allemagne, mais si elle s’en sort mieux que les autres et que son industrie est plus solide.
Et il n’est pas anodin de rappeler que les problèmes économiques ne font pas tout : l’Autriche, pays pourtant en situation de plein emploi, connaît une forte poussée de l’extrême-droite dans ce même scrutin européen…
Qu’est-ce qui ne fonctionne donc pas dans notre pays ? Quelle est la raison qui a poussé les gens à voter en masse pour le FN ? Pourquoi les Français sont-ils plus pessimistes que les Irakiens ou les Afghans ? Car malgré cela, ils se déclarent personnellement heureux et affichent un taux de natalité supérieur à la plupart des pays d’Europe grâce à des programmes de gouvernement encourageant les naissances et facilitant l’existence des mères actives.
Les Français attendent le Messie, pas la vérité
Il y a donc un bug dans notre société, qui pour le coup est spécifique à notre pays remplit de contradictions.
Dans un moment d’honnêteté, l’ancien Premier ministre Lionel Jospin déclara naguère qu’ »il ne faut pas tout attendre de l’État. » Ses propos furent vilipendés comme jamais. Pourquoi un tel massacre, pour des mots peut-être maladroits, mais somme toute pertinents ?
Parce que les Français, à la différence des autres, ont un problème avec la vérité. Ils refusent sans doute de voir le monde tel qu’il est en attendant l’arrivée d’un messie qui réglerait tous nos problèmes. Messie que Marine Le Pen, justement, prétend être…
Malgré tout, comment a-t-on atteint un tel niveau de défiance envers la classe politique et envers nous-mêmes (les Français font partie de ceux qui se déclarent le plus ouvertement racistes en Occident) ?
Et maintenant, nous voici la honte de l’Europe
Pour la classe politique on répétera que les affaires rendent le climat politique détestable. Mais une République exemplaire n’est pas une République sans affaires. Cela n’existe pas. C’est une République où on ne parvient pas à cacher les affaires.
La honte de la France ne vient pas de la classe politique. Elle vient de nous, Français, qui avons trahi l’enseignement de nos pères. Nous sommes devenus la honte de notre continent, qui nous regarde avec des yeux écarquillés.
Le FN est en tête ? C’est de notre faute.
Tribune publiée sur le site du Nouvel Observateur